Canon français : le banquet qui file la nausée
Cet automne, le Canon français, une marque de la galaxie Stérin connue pour les banquets qu'elle organise dans différentes régions, a cherché à organiser un de ses repas en Bretagne. D'abord prévu au Château-des-pères dans le petit village de Piré-sur-Seiche, l'événement a finalement été annulé par le propriétaire du lieu face à l'opposition marquée d'habitants de cette partie du sud-est rennais. Le projet politique de la marque avait échappé a son attention.
Le Canon français a finalement trouvé en urgence un second lieu d'accueil, au château de Blossac au sud de Rennes, après s'être répandu dans la presse en arguments fallacieux et en éléments de langages éculés. Mais l'opposition à ces porte-drapeaux d'une tradition inventée de la ripaille « à la française » se manifeste toujours vivement. Ici, quelque matière pour ne pas laisser le Canon français dire n'importe quoi.
Faire du blé avec le travail des autres
Le Canon français sait y faire avec les médias. Cela se voit surtout par les éléments de langage constants distillés dans leurs différentes interventions : toutes leurs sorties presses contiennent les mêmes arguments lancées avec la forme volontairement imparfaite du langage parlé (qui fait plus authentique, n'est-ce pas ?), et l'air de petit bonhomme boudeur qui ne demande qu'à travailler pour que les gens s'amusent. L'intérêt de cette constance c'est qu'on commence à les voir venir. Ainsi, « On est une entreprise qui travaille, qui embauche. Pas mal de monde dépend de nous. On passe des commandes immenses à des fournisseurs locaux dans chaque région où nous allons » 1. Les voilà, entrepreneurs bienfaiteurs à la limite de l'économie sociale et solidaire qui cherchent à soutenir les producteurs locaux.
Pourtant, on comprend en prêtant attention que « c'est compliqué de servir à l'assiettes rapidement plus de 1000 personnes » 2. Et en effet, c'est compliqué. Pour les premiers banquets, disent-ils, ils faisaient tout (comprendre les entrées, le service et les mondanités. Le bar, lui, se gérait tout seul car « les pompes étaient tournées vers le public » 3. De ces premières expériences ils ont cherché à garder l'image de simplicité et de bonne franquette, qui soutient leur discours sur la franchouillardise soi-disant caractéristique de leurs banquets. Mais la quantité de débordements (alcooliques notamment) à rendu le format difficile à tenir et il a fallu structurer l'ensemble. Les voilà qui sous-traitent maintenant le service en plus des cuisines. Il est vrai que le travail c'est fatigant, c'est mieux quand ce sont les autres qui le font.
C'est amusant d'ailleurs, Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour, les deux fondateurs, aiment raconter leurs débuts, et tout le B.A-BA du jeune entrepreneur s'y retrouve : le job ennuyeux, le side-project qui les fait se lever le matin et leur fait désirer une dose de sur-travail, jusqu'à la prise de risque qui consiste à lâcher son emploi bien au chaud pour se lancer pleinement dans son entreprise incertaine, c'est grisant (et finalement rémunérateur, on y reviendra). Un bréviaire de l'entrepreneur récité sans imperfection, avec le récit des difficultés de la rencontre avec l'URSSAF (« L'URSSAF est privé ? Ah c'est pour ça que ça marche bien ! Haha » 4), avec la Sacem (« de manière générale je n'aime pas les services centralisés qui redistribuent ! Re-Haha » 5) et le choix, ô combien difficile d'augmenter le nombre de couverts pour ne pas avoir à élever le prix du repas, qui est à 80 € avec alcool et sans dessert.
À y regarder de plus près, le Canon français est un mélange entre une marque et une start-up. Comme Nike, leur fonction est essentiellement de gérer la marque et de coordonner les différents sous-traitants et fournisseurs. Comme Nike qui n'a pas d'usine, le Canon français n'a pas de cuistot, pas d'équipe de service, pas d'hôtes, pas de lieu. Pour tout cela ils comptent sur les autres. Et comme une start-up le Canon français fait payer cher ce qui existe déjà en gratuit ou à des tarifs abordables, en enrobant le tout d'une histoire, d'un récit sur les français-béret-pinard-bons-vivants, d'un *storytelling *banal d'une marque qui appelle « concept » le fait de vendre pour le prix d'un pass navigo mensuel ce que toutes les asso de Bretagne font à 25 euros maximum.
Gardons cela en tête : ce que propose le Canon français ce n'est pas une bonne bouffe joyeuse en bonne compagnie, c'est un récit sur ce que doit être une bonne bouffe joyeuse et sur qui est la bonne compagnie. Le reste, ce sont des prestataires qui le font, les fameux « locaux ». Il est bien connu que les petits producteurs sont en mesure de fournir d'un coup de quoi nourrir 1500 convives.
Les aristos jouent au bas-peuple, ou la pseudo-simplicité de la franchouillardise vociférante
Du récit du joyeux bordel de leurs premiers banquets, que Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour adorent raconter, on retient une chose : là où toute personne qui a été bénévole à la kermesse de l'école, au repas chanté des anciens, ou à la fête du village, sait la variété des tâches qui doivent être faites pour tenir un banquet, eux, en vrais ignorants et du travail de bouche et des banquets populaires, n'en avait aucune idée. Conséquence : ces premiers banquets c'était le foutoir. Oh ne croyez pas, les ripailles ils connaissaient, comme celles des libations d'école de commerce ou de BDE de fac de droit, celles dont on sait qu'elles ont pour principale fonction de former les solidarités de corps par le partage d'une expérience de l'excès et des abus qu'il faudra cacher toute sa vie. L'expérience de banquetiers de Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour, n'est pas celle du bénévole de la bonne bouffe, c'est celle de la soirée d'intégration de l'école supérieure privée. En atteste d'ailleurs le service de l'alcool dans leurs banquet qui flirte avec les limites des règles d'interdiction des openbar. Le bon vivant du Canon français, c'est celui qui nous fait pitié lorsqu'il débarque en ville avec sa bande de potes et qui ne peut pas s'empêcher, réflexe de classe, de saturer tout l'espace vocalement et spatialement, pour s'assurer que tout le monde a bien compris qu'il était là. La forme de sociabilité festive qui a forgé Pierre-Alexandre Mortemard c'est celle qui lui a permis d'aller au Luxembourg, après ses études, pour dealer du cacao avec des fournisseurs africains pour la multinationale Ferrerro. Bref, les espaces de sociabilités populaires et joyeux, ils connaissent, c'est évident.
Pour preuve, un petit détour vers le cadre familial n'est pas de trop. Le Canon français a été fondé par quatre amis, mais après quelques désaccords seuls deux d'entre eux ont gardé la boutique. Ces deux hommes sont, on l'a dit, Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour 6. Aristocrates véridiques, le premier est d'une famille faite noble sous l'Empire, est marié avec Maëlle Le Lièvre de la Morinière et déclare du haut de son héritage non-guillotiné que sa famille est d'Auvergne « depuis des millénaire » 7, tandis que le second vient de la vieille noblesse d'Ancien Régime. Lesquels Fayet de la Tour font, soit dit en passant, partie de l'association d'entraide de la noblesse française, qui organise peut-être des banquets, mais qui est surtout connue, d'après le journaliste Charles de Laubier, pour être « en fait un club très fermé de l'ancienne aristocratie française dont la plupart des membres se considérant encore aujourd'hui "aristocrates", sont monarchistes, royalistes et antirépublicains » 8 et dont le président de 1934 à 1964, Antoine de Lévis-Mirepoix, a été décoré de la Francisque par le régime de Vichy.
Si la double particule et la tradition anti-républicaine familiale n'implique pas nécessairement un patrimoine, un capital social élevé et des idées royalistes, nos deux rejetons de la noblesse n'en sont pas moins d'authentiques enfants de gradés de l'armée 9, baignant dans des familles dont les membres assument leur catholicisme (rien de mal à cela on pourra dire) mais aussi, au gré d'un like ou d'un repost, un peu d'homophobie ici ou une once de position anti-IVG là. Les frères, sœurs, cousins, sont, pour une grande part, cadres dans des très grandes entreprises, gradés de l'armée, ou dans des écoles privés catholiques (comme étudiants ou comme enseignantes). La plèbe en somme.
Élément de langage :
« Notre idée, c'est d'apporter de la joie et des sourires chez les gens qui viennent à nos banquets. On le fait avec nos tripes. On ne fait pas de politique. On dit aux gens qui critiquent "Venez voir" » 10.
Difficile de répondre « non » à l'appel de la joie et à l'offre des sourires, car qui oserait refuser le plaisir d'un banquet ? Les pisse-froids, les aigris, les bougons, les ascètes et sans-plaisirs, la foule des empêcheurs de kiffer en rond, il n'y a que ces rabats-joie qui rechigneront, n'est-ce pas ? C'est bien cela qui se joue avec le Canon français : qui peut bien refuser de participer à une soirée vieille France « qui sent la naphtaline » 11 organisée par un ex-BDE d'école de droit ou de commerce ? On se le demande bien. Certains observateurs perspicaces le disent d'ailleurs 12 : l'une des opérations conservatrices de la période est la confiscation de l'imaginaire de la vitalité et, du même mouvement, l'organisation d'un tri social, discret et sans coercition (pour l'instant) : il y a ceux qui jouissent d'un bon repas en bonne compagnie et ceux qui maugréent seuls dans leur coin contre les premiers. Il y a les jouisseurs qui se bâfrent de cochonnaille en siphonnant des quilles sur un fond de lacs du Connemara et puis il y a les aigris qui mangent des légumes bouillis en buvant de la tisane. De là à penser que l'absence d'option végétarienne ou végane serait fortuite ? Ce serait de la médisance 13. Les commentaires sur les vidéos du Canon français montrant des cochons à la broche, s'ils ne sont pas l'expression direct de la marque, laissent également songeurs sur comment de nombreux clients perçoivent ce type de viande. De là à penser que la vente de béret siglés fonctionne fort bien précisément parce qu'il est un signe de reconnaissance et donc de distinction ? Allons allons, ce n'est pourtant qu'un béret ! D'ailleurs, pourquoi tu ne veux pas en avoir ? Je te l'offre ! Les bérets, nous dit Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse, « ça plait beaucoup, ça fait esprit de corps, de communauté » 14. En effet.
Monarchistes - CGT « même combat » --- fascism-blindness
La question de l'affichage des signes n'est, curieusement, pas un sujet secondaire pour le Canon français. On aurait pourtant pu le croire pour un banquet populaire. C'est vrai, qui vient avec le drapeau de la LFI à la fête des voisins, si ce n'est un prosélyte lourdaud ? Mais c'est qu'il doit y en avoir des prosélytes lourdauds pour que les organisateurs sentent rapidement comme une obligation d'écrire une charte et de préciser que leurs événements ne sont pas politiques. De la même manière qu'il a fallu qu'ils ponctuent toutes leurs annonces de messages de prévention sur l'alcool, après avoir constaté « quelques » dérapages. Des dérapages si fréquents qu'ils ont hésité à tout arrêter 15. Alors, Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour, fustigent les journalistes qui cherchent le « Pokémon du coin » 16, celui qui, un peu tout seul si on les croit, porte sur ses épaules un drapeau royaliste. Quelqu'un portait-il un tricolore avec une croix de lorraine ? « Ça va, il y a pire [...] c'est un drapeau gaulliste, c'était pas politique ».
Rien à voir, donc avec ceux qui se vivent comme des résistants luttant face à l'envahisseur qui sont pourtant les seuls à arborer le drapeaux des FFI en dehors des temps de commémorations (comme par exemple dans un rassemblement de soutien à Sarkozy à l'occasion de son incarcération où on criait « morts aux journalistes, morts aux juges ».). Tiens ! Par exemple : Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse, se souvient d'un client arborant un drapeau de la CGT, à qui on a gentiment demandé de le ranger 17. N'a-t-il pas raison ? La neutralité est une bonne chose. Et puis Géraud du Fayet de la Tour ajoute « nous on n'a pas envie de faire la police tout l'événement, on a fixé les règles, si demain ça prend trop de place ce genre de truc évidemment on agira. » Ah. Conclusion, le drapeau de la CGT c'est politique, donc pas à sa place, mais le drapeau royaliste c'est un Pokémon rare qui n'apparait que devant les journalistes qui enquêtent à charge. Il est vrai qu'un mouvement anti-républicain, de tradition antisémite, qui désir instaurer un autocrate de droit divin, c'est à peu près la même chose qu'un syndicat réformiste. Et puis, finalement, qui n'a pas un vieil oncle maurrassien qu'il faut supporter à tous les repas de famille ? Si Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour ne sont pas perturbés par le Pokémon Camelot-du-roi --- dont ils ont presque pitié, soit-dit en passant --- c'est parce qu'il est moins disruptif dans leur monde qu'un client végétarien. Si l'on en croit une journaliste de *Charlie Hebdo *venue participer à un de leurs banquets lors des dernières élections européennes, parmi les clients, dont certains portaient des t-shirts de marques néo-nazi ou des tatouages de fleur de lys et de croix celtiques, un des participants avance un « on a voté Bardella, comme tout le monde ici » 18. Le syndicaliste de la CGT qui s'y perd y est le bienvenu pourvu qu'il reste à sa place de convive non-politisé.
Dehors, après le banquet, les porteurs de bérets attroupés sur le parvis de la gare de Rennes attendant leur train (des locaux, on vous dit) entonneront bien en cœur « mais ils sont où les Antifa ? » 19, mais ça c'est en-dehors. Aussi n'est-on pas surpris que des voisins du quartier de la Courrouze toujours à Rennes, racontent comment, une fois sortis du banquet ils se sont mis à chanter des chants à la gloire de Bardella, ont fait des saluts nazis et s'en sont pris verbalement à des gens du quartier 20 doit ça aussi c'était dehors. Et puis, si un « À mort les bougnoules » [^21 a été lâché par un convive à Angers en 2024, c'était dedans, mais cela doit être un dérapage d'un Pokémon J'ai-vu-de-la-lumière-je-suis-rentré-par-hasard. Voilà sans doute pourquoi certains lieux refusent dorénavant de les accueillir.
Alors bien sûr, les banquets du Canon français ne sont pas des meetings politiques. Les organisateurs s'honorent de cela et il faut le reconnaître. D'une part parce que c'est mauvais pour le business et d'autre part, parce que ce n'est pas leur fonction. On y reviendra.
Stérin, l'actionnaire inconnu
Mais revenons-en au cadre entrepreunarial. Pierre-Édouard Stérin est aujourd'hui connu pour son engagement politique et financier : en préparant le plan dit « PERICLES », le richissime catho-réac vise à faire élire 300 nouveaux maires d'extrême droite aux prochaines élections municipales. Pour cela, notamment, il finance largement de nombreuses initiatives économiques et associatives qui portent des valeurs et des pratiques conservatrices, voir fascisantes. 21
On imagine que c'est par le plus grand des hasards que ledit milliardaire a racheté BLT investissement l'entreprise qui détenait Le Canon français. Le prix de ce rachat est inconnu mais la hausse subite du capital des entreprises individuelles de Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse (Boisse SAS, capital : 463.000 €) et Géraud du Fayet de la Tour (Turrim EURL, capital : 370.000 €) nous permet de faire l'hypothèse raisonnable d'une fourchette d'une vente entre 800.000 et 1.000.000 €, une paille.
Éléments de langage :
« Pierre-Édouard Stérin on ne le connait pas. Nous avons traité avec un de ses fonds capitalistiques qui est entré dans notre capital » 22.
Peu nombreuses sont les fois où Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour nomment le milliardaire. Ils usent plus souvent de circonlocutions de type « notre nouvel actionnaire » quand ils sont contraints d'évoquer les critiques ou certaines enquêtes 23. Dans leurs communications, ils mettent constamment une distance entre Pierre-Édouard Stérin et et eux, comme pour signifier que ce rachat n'est rien d'autre qu'un transaction financière sans conséquence. Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse, répétait encore « Stérin a un projet, mais ça ne nous concerne pas. C'est chiant d'avoir l'étiquette d'extrême droite parce que ce n'est pas du tout notre délire ! » 24. Il est assez amusant de constater que BLT investissement a changé de siège social depuis, pour s'installer au 6, rue Saint-Joseph dans le second arrondissement parisien. Adresse qui héberge (ou a hébergé jusqu'à il y a peu) de très nombreuses entreprises de la galaxie Stérin dont : Otium capital et Otium management et le promoteur immobilier catholique Monasphere, détenues directement par M. Stérin, mais aussi Résonance par Otium SCR, la SCI l'Aigle qui en sont des filiales, ou encore toute la branche loisir de la branche Stérin, via Otium Leisur/Hardena et ses filiales 25 : SpeedPark Développement et filiales (SP Bordeaux, SP Tourcoing, SP Vitrolles, SP Rennes, SP Sarcelles, SP Val d'Europe, SP Angers, SP Aubergenville, SP Cagnes-sur-mer, Speedpark Topco, SP Servon, SP Tours, etc.), Eclipso Holding et filiales (Eclipso Lyon, Eclipso Nice, Eclipso Lille, Eclipso Marseille, Eclipso Nantes, Eclipso Paris, Eclipso Bordeaux, etc.), FAB FORT Holding et filiales (FBA ST Priest, FBA Epagny, FBA Val d'Europe, FBA Velizy, FBA Rennes, FBA Grenoble, FBA Angers, FBA Bordeaux, FBA Montpellier, FBA Toulouse, FBA Cagnes-sur-mer, FBA Tours, etc.), Hadrena Jump France 1, Games Factory, GF Reims, etc. ; mais aussi une partie des entreprises d'Otium Partners (ASI, Alfeor, Alfeor TSM, etc.), et enfin (surtout) toute la branche culturelle du projet de Stérin :
Odyssée Impact, La SCI du Domaine de Chalès, La Société de production audiovisuelle française, le Fonds Bien commun, la Foncière Bien commun, FOBC gestion, ainsi que l'association Les plus belles fêtes de France.
Cette dernière association, formant un label de promotion de fêtes qui a défrayé la chronique l'été dernier. À la suite d'un article de L'Humanité montrant le lien entre le label (ainsi que le Canon français) et le projet politique de Stérin, une dizaine de communes décidaient de retirer les fêtes qu'ils organisaient dudit label 26.
Ce que peu de gens soulignent, c'est que le rachat du Canon français par Pierre-Édouard Stérin n'est pas la seule relation entre les deux puisque Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse est également un des administrateurs du Label les plus belles fêtes de France 27, à l'instar de Thibault Farrenq (fondateur des Nuits du bien commun et directeur du Studio 496 qui structure le label), Margaux Bourguignat et Odile Tequi (de Studio 496), Romain de Lacoste (ex-directeur de cabinet de Nicolas de Villiers au Puy du fou), Baudouin de Trootstembergh (fondateur de Sandora VR lié à Eclipso, une filiale d'Otium Leisure/Hadrena), Louis Touillaire (lié au catholicisme d'extrême droite), etc. Et c'est là une des singularités de la galaxie Stérin : ses différentes branches sont toutes en relation, d'une manière ou d'une autre.
Ainsi, quand Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse dit « Stérin a un projet mais ça ne nous regarde pas », il ment. S'il ne connait pas Pierre-Édouard Stérin personnellement --- c'est possible --- il est en revanche parfaitement au fait des objectifs du milliardaire ainsi que du milieu qui l'accompagne, et il accepte délibérément de faire partie de son projet politique. On pourrait arguer que le rachat se faisant en 2024, et que Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour n'étaient pas informés du plan Périclès. Il est en effet peu probable qu'ils lisent L'Humanité. Mais alors, comment expliquer que les « cuvées patrimoines », premier projet de nos deux protagonistes, ont financé des associations catholiques également financées par les « nuits du bien commun » initiées par Stérin comme par exemple Les Arcades. Laquelle association est également soutenue par la maison Duroc, un « incubateur » lié lui aussi à la galaxie Stérin. On trouve encore parmi les projets qu'ils ont aidé, des associations qui cherchent à réintroduire des tonalités religieuses dans des fêtes qui se passent dans l'espace public comme c'est le cas avec, l'association Paris Geneviève qui organise Paris vaut bien une fête, sous le patronage de la figure de Sainte Geneviève. 28. Autre exemple, qui souligne leur rapport au « patrimoine », Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour sont encore dithyrambiques sur le travail, qu'ils ont co-financé par les « cuvées patrimoine », de Julien Marquis, co-fondateur (aujourd'hui décédé) des Dartagnans, initiative qui a racheté grâce à des levées de fonds des châteaux en vue de les restaurer, dont les pratiques s'apparentent à des détournements de fonds. 29
En bref, nier leur engagement dans les sphères conservatrices, catholiques, et a fortiori nier leur participation volontaire au projet politique de Pierre-Édouard Stérin n'est qu'une des façons de mener la bataille culturelle.
Rôle du Canon français : rassembler une communauté, cliver et normaliser la présence de l'extrême droite
On a souligné plus haut l'insistance de Pierre-Alexandre Mortemard de Boisse et Géraud du Fayet de la Tour sur l'air de « on ne fait pas de politique » 30. Les deux hommes rappellent d'ailleurs que contrairement à eux, nombres de festivals organisent des tribunes politiques (en prenant l'exemple de We Love Green 31, tandis que beaucoup de leurs soutiens font référence à la fête de l'Huma, bien plus politisée que les ripailles du Canon français. Leurs opérations de relation publique via une communication fréquente sur les réseaux sociaux et dans la presse locale, jouent beaucoup de cette apparence non-politique. Et il est vrai que beaucoup des arguments utilisés ici doivent faire appel aux angles morts, à l'analyse des choix de cadrages de leurs discours, aux faisceaux d'indices concordants, et à leurs relations et aux sorties de leurs clients moins discrets pour pouvoir affirmer le rapport entre le Canon français et l'extrême droite.
Cette angle de communication leur donne la possibilité de nier toute critique politisée et de renverser l'argument sur l'air de « vous faites de la politique, nous voulons juste donner du plaisir aux gens ». Leurs prises de paroles cherchent ainsi à faire paraître les critiques pour des anti-tout. Ici ils disent qu'ils n'ont pour seul objectif que de donner de la joie et se déclarent victimes d'attaques « lunaires » 32. Là ils communiquent en disant que parce qu'ils servent du cochon ils sont perçus comme anti-musulmans 33 faisant dire à leurs critiques ce qu'ils n'ont pas dit. Et les exemples de ce type sont nombreux, dessinant, à force, des lignes de fracture qui engagent des acteurs locaux : maires, fournisseurs, entrepreneurs et citoyens locaux sont dorénavant invités à se positionner à presque chaque banquet. Le flou qui entoure leur engagement pour le grand public fonctionne comme un outil stratégique à double objectif : rassembler une communauté autour d'un moment réputé joyeux et populaire (sic !), constituer sans la nommer la figure des ennemis du bien-vivre et des empêcheurs de tourner en rond.
On a vu que la création d'une communauté était une des visées explicite des fondateurs. Comme tout entrepreneur-influenceur pourra-t-on dire, si ce n'est que cette communauté cherche à présenter une certaine forme de sociabilité --- celle du BDE d'une école de commerce faisant une soirée d'intégration sur le thème de la bonne franquette sauce Vichy --- comme étant LA forme de plaisir qu'il faudrait instaurer comme norme. Et ces soutiens et clients ne s'y trompent pas lorsqu'ils disent par exemple : « C'est un repas comme on aime, parfait, entre patriotes. Des bonnes valeurs, du bon terroir, c'est ce qu'on aime ! » (Un banquet géant pour fêter la fin des vendanges, Le Journal de Saône et Loire.
C'est probablement là qu'il faut trouver la fonction des banquets du canon français : non pas comme un meeting politique, mais comme l'organisation au grand jour d'espaces où les sociabilités réactionnaires, voir fascistes, peuvent se vivre comme une norme et dont le caractère clivant viendrait en fait de la gauche grincheuse, de « certaines gauchiasses qui veulent nous emmerder » 34. Ce faisant, et à mesure que les oppositions se font jour, les banquets viennent travailler les rapports de forces locaux en poussant les institutions publiques et privées à prendre partie pour eux et contribuer ainsi à leur normalisation. L'augmentation de la jauge des repas, laisse suggérer l'idée d'une adhésion croissante à ce type de réjouissances. On constate pourtant que leur clients sont fidèles : argentés, ils se déplacent de lieux en lieux et collectionnent même des badges qu'ils arborent fièrement pour montrer la quantité de banquets auxquels ils ont participés.
La pratique du Canon français, comme du reste des initiatives culturelles de la galaxie Stérin, est une forme d'entrisme visant à capturer et à redéfinir les orientations historiques et culturelles d'usages populaires grâce, notamment, à des arguments économiques. Le procédé de fond est d'ailleurs le même que celui du label Les plus belles fêtes de France qui a tenté de faire entrer de nombreuses fêtes locales implantées de longue date dans un ensemble portant un discours conservateur en faisant croire qu'il aurait une adhésion large et populaire.
Ce qui décrit le plus sûrement le caractère politique des banquets, ce ne sont pas les prises de paroles des fondateurs, on l'a dit, mais ce sont ni plus ni moins que les soutiens et clients du Canon français. Par exemple, sous la vidéo de Ouest-France qui annonce le maintient du banquet prévu en Ille-et-vilaine cet automne, on peut lire : « Bravo, continuez vive la France », « Du grand n'importe quoi, ils ont le droit d'aimer leur pays et traditions et même s'ils sont "identitaires" ou d'"extrême droite". Où est le problème ? Tant qu'ils ne font de mal à personne », « Il n'y a pas d'extrême droite en France ! Il faut que les accusateurs révisent leur définitions de l'extrême droite ! Pfff je suis tellement déçu de la décision du château en question ! Soutien au Canon français ! Soyons fiers de notre territoire et nos valeurs », « Tous les banquets sont maintenus ! Yess ! Haro sur les voyous de l'extrême gauche ! », « Pétition de gaucho... la gauche veut détruire les valeurs de ce pays. », « Merci, j'ai eu peur que vous cédiez face à la bêtise de la gauche qui veut détruire notre pays. », « Pourquoi être nationaliste et identitaire c'est une mauvaise chose ? », etc.
À n'en point douter, ces quelques pokémons saisissent très bien l'enjeu et la raison d'être de ces banquets.
Footnotes
-
On trouve assez lunaire, assez injuste d'être critiqué », Actuchalonnais, vendredi 17 octobre 2025, p. 12 ↩
-
Ibid. ↩
-
entretien Le Canon Français, l'aventure entrepreneurial d'une vie !) ↩
-
Ibid. ↩
-
Ibid. ↩
-
Les deux autres sont Joseph Paitiers et Victor de Moulins de Rochefort. ↩
-
entretien Le Canon Français, l'aventure entrepreneurial d'une vie ! ↩
-
Quand de Gaulle faisait discrètement allégeance à la noblesse française, L'Express, 2017 ↩
-
D'après leurs déclations, entretien Le Canon Français, l'aventure entrepreneurial d'une vie ! ↩
-
On trouve assez lunaire, assez injuste d'être critiqué », Actuchalonnais, vendredi 17 octobre 2025, p. 12 ↩
-
L'expression est la leur, reprise dans l'article Thomas Lemahieu, « Pinard, saucisson et Michel Sardou : comment Pierre-Édouard Stérin veut faire main basse sur les fêtes « traditionnelles » », L'Humanité. ↩
-
Merci Rasbaille ↩
-
Cela fait pourtant des semaines que l'hypothèse est « étudiée », on imagine que les traiteurs engagés ne doivent pas savoir faire ↩
-
entretien Le Canon Français, l'aventure entrepreneurial d'une vie ! ↩
-
Si si. entretien Le Canon Français, l'aventure entrepreneurial d'une vie ! ↩
-
Ibid. ↩
-
Ibid. ↩
-
Julie Lescarmontier, Au Canon Français, « On a voté Bardella comme tout le monde », Charlie Hebdo, 10 juin 2024, https://charliehebdo.fr/2024/06/politique/extreme-droite/au-canon-francais-on-a-vote-bardella-comme-tout-le-monde ↩
-
En 2024, témoignage recueillis. ↩
-
En 2023 et 2024, témoignages recueillis. ↩
-
Sur le plan Périclès voir : https://www.humanite.fr/politique/bien-commun/projet-pericles-le-document-qui-dit-tout-du-plan-de-pierre-edouard-sterin-pour-installer-le-rn-au-pouvoir) ↩
-
On trouve assez lunaire, assez injuste d'être critiqué », Actuchalonnais, vendredi 17 octobre 2025, p. 12 ↩
-
entretien Le Canon Français, l'aventure entrepreneurial d'une vie ! ↩
-
Cité dans Thomas Lemahieu, « Pinard, saucisson et Michel Sardou : comment Pierre-Édouard Stérin veut faire main basse sur les fêtes « traditionnelles » », L'Humanité. ↩
-
Voir : https://www.lemonde.fr/economie/article/2025/04/13/la-folle-croissance-d-hadrena-groupe-de-loisirs-indoor-et-propriete-du-controverse-homme-d-affaires-pierre-edouard-sterin_6595513_3234.html ↩
-
https://www.lemonde.fr/politique/article/2025/08/16/une-dizaine-de-communes-se-retirent-du-label-les-plus-belles-fetes-de-france-apres-la-revelation-du-financement-par-pierre-edouard-sterin_6630375_823448.html ↩
-
Cette information est bien indiquée dans l'article de L'Humanité, mais depuis la liste des administrateurs a disparu du site du label. La WayBack Machine, sorte d'archive d'internet, a cependant gardé la liste des url des pages effacées. ↩
-
On ne s'empêchera pas de rappeler au passage que l'association christo-fasciste Paris fierté fait de Sainte Geneviève sa figure tutélaire pour sa marche Sainte-Geneviève au flambeau qui rassemble la crème du fascisme parisien. ↩
-
Dartagnans : un pour tous tout pour lui, Que choisir, 26 décembre 2024. ou encore Enquête, le mirage de la vie de château, France Info, 20 décembre 2023. ↩
-
On trouve assez lunaire, assez injuste d'être critiqué », Actuchalonnais, vendredi 17 octobre 2025, p. 12 ↩
-
entretien Le Canon Français, l'aventure entrepreneurial d'une vie ! ↩
-
On trouve assez lunaire, assez injuste d'être critiqué », Actuchalonnais, vendredi 17 octobre 2025, p. 12 ↩
-
Le canon français installera son banquet au Château de Blossac en Ille-et-vilaine, Rennes MaVille.com, 23 octobre 2025 ↩
-
Vidéo de soutien de Magelyaofficiel au Canon français. ↩












